Dumas Alexandre - Grand dictionnaire de cuisine


Auteur : Dumas Alexandre
Ouvrage : Grand dictionnaire de cuisine
Année : 1860

Lien de téléchargement : Dumas_Alexandre_-_Grand_dictionnaire_de_cuisine.zip

L'homme reçut de son estomac, en naissant, l'ordre de manger au moins trois fois par jour, pour réparer les forces que lui enlèvent le travail et, plus souvent encore, la paresse. Comment l'homme est-il né? dans quel climat assez vivifiant et assez nourricier, pour arriver, sans mourir de faim, à l'âge où il peut chercher sa nourriture et se la procurer? C'est là le grand mystère qui a préoccupé les siècles passés et qui préoccupera, selon toute probabilité, les siècles à venir. Les plus anciens mythologues le font naître dans l'Inde; et, en effet, l'air tiède qui s'élève entre les monts Himalaya et les rivages qui s'étendent de la pointe de Ceylan à celle de Malacca indique assez que là fut le berceau du genre humain. D'ailleurs l'Inde n'est-elle point symbolisée par une vache? et ce symbole ne veut-il pas dire qu'elle est la nourrice du genre humain? Combien de pauvres Hindous, qui ne se sont jamais préoccupés de ces symboles, ne se seraient-ils pas crus damnés s'ils n'étaient pas morts en tenant dans leurs mains une queue de vache? Mais, quelque part que l'homme soit né, il faut qu'il mange; c'est à la fois la grande préoccupation de l'homme sauvage et de l'homme civilisé. Seulement, sauvage, il mange par besoin. Civilisé, il mange par gourmandise. C'est pour l'homme civilisé que nous écrivons ce livre; sauvage, il n'a pas besoin d'être excité à l'appétit. Il y a trois sortes d'appétits: 1 - Celui que l'on éprouve à jeun, sensation impérieuse qui ne chicane pas sur les mets et qu'au besoin on apaiserait avec un morceau de chair crue aussi bien qu'avec un faisan ou un coq de bruyère rôti. 2 - Celui que l'on ressent lorsque, s'étant mis à table sans faim, on a déjà goûté d'un plat succulent qui a consacré le proverbe: L'appétit vient en mangeant. Le troisième appétit est celui qu'excite, après le mets succulent venu au milieu du dîner, un mets délicieux qui paraît à la fin du repas, lorsque le convive sobre allait quitter sans regrets la table, où le retient cette dernière tentation de la sensualité. Deux femmes nous ont donné les premiers exemples de la gourmandise: Eve, en mangeant une pomme dans le Paradis; Proserpine, en mangeant une grenade en enfer. Proserpine ne fit de tort qu'à elle. Enlevée par Pluton, pendant qu'elle cueillait des fleurs sur les bords de la Cyanée, et transportée en enfer, à ses réclamations pour remonter sur la terre le Destin répondit: «Oui, si tu n'as rien mangé depuis que tu es en enfer.» La gourmande avait mangé sept grains de grenade. Jupiter, imploré par la mère de Proserpine, Cérès, revit l'arrêt du Destin et décida que, pour satisfaire à la fois la mère et l'époux, Proserpine resterait six mois sur la terre et six mois dessous. Quant à Eve, sa punition fut plus grave, et elle s'étendit jusqu'à nous, qui n'en pouvons mais. Au reste, de même qu'il y a trois sortes d'appétits, il y a trois sortes de gourmandises. Il y a la gourmandise que les théologiens ont placée au rang des sept péchés capitaux, celle que Montaigne appelle la science de la gueule. C'est la gourmandise des Trimalcion et des Vitellius. Elle a un superlatif, qui est la gloutonnerie. Le plus grand exemple de gloutonnerie que nous donne l'antiquité est celui de Saturne dévorant ses enfants, de peur d'être détrôné par eux, et avalant, à la place de Jupiter, un pavé emmailloté, sans s'apercevoir que c'était un pavé. Nous lui pardonnons pour avoir fourni à Vergniaud cette belle comparaison: «La Révolution est comme Saturne: elle dévore ses enfants.» A côté de cette gourmandise, qui est celle des estomacs robustes, il y a celle que nous pourrions nommer la gourmandise des esprits délicats: c'est celle que chante Horace et que pratique Lucullus; c'est le besoin qu'éprouvent certains amphitryons de réunir chez eux quelques amis, jamais moins nombreux que les Grâces, jamais plus nombreux que les Muses, amis dont ils s'efforcent de satisfaire les goûts et de distraire les préoccupations. C'est, parmi les modernes, celle des Grimod de la Reynière et des Brillat Savarin. De même que l'autre gourmandise a un augmentatif, gloutonnerie, celle-ci a un diminutif, friandise. Ce diminutif s'applique également aux personnes qui aiment les choses délicates et recherchées et à ces choses elles- mêmes. Le gourmand exige la quantité, le friand, la qualité. Nos pères, qui avaient le verbe friander que nous avons perdu, disaient, en voyant certaines physionomies gueulardes autre mot perdu, dans ce sens du moins: Voilà un homme qui a le nez tourné à la friandise. Ceux qui tenaient à être exacts ajoutaient: Comme saint Jacques de l'Hôpital. D'où venait cet axiome, qui au premier abord paraît passablement incongru? Nous allons vous le dire. Il y avait une image de saint Jacques de l'Hôpital peinte sur la porte de l'édifice de ce nom, près de la rue aux Oies, devenue depuis, par corruption, la rue aux Ours, rue dans laquelle se trouvaient les premiers rôtisseurs de Paris. Or, comme le visage du saint regardait cette rue, on disait qu'il avait le nez tourné à la friandise. C'est ainsi que l'on dit de la statue de la reine Anne, à Londres, reine passablement friande, de vin de Champagne surtout: C'est comme la reine Anne, qui tourne le dos à l'église et qui regarde le marchand de vin. Et, en effet, soit hasard de la pose, soit malice du statuaire, la reine Anne commet cette inconvenance, qui peut passer pour une critique de sa vie, de tourner le dos à Saint-Paul et de garder son sourire royal pour le grand marchand de vin qui fait le coin de la rue. Brillat-Savarin, le La Bruyère de cette seconde catégorie des gourmands, a dit: L'animal se repaît; l'homme mange; l'homme d'esprit seul sait manger. La troisième gourmandise, pour laquelle je n'ai que des lamentations, est celle des malheureux atteints de la boulimie, maladie qui attaqua Brutus après la mort de César; ceux-là ne sont ni des gourmands, ni des gourmets, ce sont des martyrs. ...

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